Jacques de Thézac, le Fondateur - Œuvre du Marin Breton

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Jacques de Thézac, le Fondateur
Breton d’adoption, Jacques de Thézac prend conscience des misères de l'époque. Passionné, il mesure au cours de ses croisières celle des marins-pêcheurs. Dès lors, sa vie bascule. Il décide de se consacrer à l'amélioration des conditions d'existence des gens de mer. Éduquer les marins, améliorer leurs conditions de vie et les détourner de l'alcool, telle est la mission qu'il se fixe.

L’homme. Idéaliste, philanthrope, pragmatique...

Jacques de Thézac, le philanthrope

En fondant, au début du siècle en Bretagne, des œuvres de bienfaisance pour les pêcheurs, Jacques de Thézac devenait simultanément l’un des acteurs les plus originaux du catholicisme social en France. Depuis la naissance de ce mouvement dans les premières années du XXe siècle, seuls les ouvriers et les paysans avaient pu bénéficier de la création d’organismes caritatifs.

L’apparition des conserveries avec la révolution industrielle avait pourtant provoqué des mutations économiques sans précédent dans le monde maritime, sans que l’organisation collective de ce milieu progresse suffisamment.
En outre, du point de vue religieux, les pêcheurs formaient une chrétienté originale qui méritait de plus en plus l’attention des prédicateurs. En Angleterre, aux Pays-Bas et en Allemagne, les Églises réformées lancèrent très tôt des œuvres d’assistance maritime, sans d’ailleurs avoir le monopole de ce type d’action. La France catholique et terrienne ne s’inspira que tardivement de leur exemple.

Jacques de Thézac, le yachtman

Originaire de Saintes, Jacques Compagnon de Thézac naquit en 1862 à Orléans où son père Charles, directeur de l’Enregistrement, avait épousé trois ans plus tôt Louise Balby de Vernon.
De santé fragile, il dut interrompre de bonne heure ses études pour trouver la guérison sur le littoral des Charentes.
Encore adolescent, il se passionna pour la voile et, seul sur son canot, parcourut les Courreaux de Saintonge. Séduits par l’intrépidité du jeune aristocrate, les pêcheurs du voisinage le surnommèrent « le capitaine américain ». Plus tard, encouragé par sa famille, il participa à des régates sur les côtes bretonnes et charentaises. Il remporta ainsi de nombreuses courses à bord de voiliers dont il concevait parfois lui-même les plans.
Il naviguait alors six mois de l’année, « moins par amour de la mer que pour le plaisir de voir de près des marins à l’œuvre ». En observant les pêcheurs au travail, il prit conscience de leur rude existence et sentit s’éveiller en lui un désir sincère de leur être utile.

Son mariage en 1888 avec Anna de Lonlay, fille du châtelain du Porzou en Lanriec (près de Concarneau) lui permit d’affirmer son idéal de générosité en terre bretonne. Le jeune couple s’installa à Sainte-Marine, dans une des résidences dominant l’estuaire de l’Odet. Thézac prit alors sous sa protection Pierre Quéméré, le fils d’un métayer de son beau-père. Il se chargea de son éducation et en fit son matelot.
Au cours de ses nombreuses croisières, le yachtman mesura toute l’étendue de la misère qui touchait les pêcheurs et le prolétariat des grands ports sardiniers. Il découvrit des chaumières basses où s’entassaient des familles dont le seul gage de richesse était souvent de posséder de nombreux enfants. Il prit conscience des ravages de la tuberculose dans des logis incommodes et surpeuplés.
Il vit fréquemment des pêcheurs et même de jeunes mousses s’enivrer dans les cabarets après de rudes journées et d’interminables nuits passées sur des bateaux creux.

Jacques de Thézac, l’idéaliste

En 1898, à trente-six ans, Thézac décidait d’agir. Sa condition de rentier lui permettait d’entretenir avec aisance sa petite famille et d’envisager l’avenir avec sérénité, mais lassé de naviguer «pour le plaisir», il trouvait enfin un « moyen de se rendre utile ». Témoin des ravages de l’alcoolisme dans les milieux maritimes, il se promit d’être l’homme qui combattrait ce fléau.
Il se mit alors à étudier la question et consulta les revues des sociétés antialcooliques alors en plein essor. Sur les conseils de Pierre Quéméré, il songea tout d’abord à « une publication revêtant le caractère d’un ouvrage professionnel maritime et réunissant, avec un grand nombre de renseignements de métier, de nombreux sujets d’attractions tels que croquis amusants et chansons de marins ».
Une publication « où les saines notions que l’on y disséminerait en termes modérés et en style populaire, pour combattre et saper le prestige de l’alcool, laisseraient à coup sûr des traces positives dans l’esprit des lecteurs ».

L’Almanach du Marin Breton était né.

Dès sa première édition, en 1899, il connut un immense succès qui n’allait jamais se démentir par la suite.
Cependant le philanthrope comprit très vite que, pour être efficace, l’action moralisatrice et éducatrice de son Almanach devait s’accompagner d’une action connexe sur le terrain même de la vie quotidienne.
Il conçut donc le projet d’offrir aux pêcheurs des « endroits sains, bien chauffés, confortablement aménagés » où ils pourraient se réunir sans être la « proie des débitants ». Inspirée du modèle des Sailors’ Homes protestants, la formule alternative des Abris du Marin était définie.
En décembre 1899, un essai fut tenté à l’île de Sein, dans le grenier d’une petite maison située à la pointe de Men Brial. Devant l’intérêt que portaient les marins, accroupis sur le plancher, à feuilleter les revues nautiques et les livres soumis à leur curiosité, Thézac conclut au bien-fondé de son entreprise. Il avait enfin trouvé le moyen d’exprimer son altruisme et par là même l’occasion de s’affranchir d’un certain sentiment de culpabilité, né de sa condition de privilégié.

Jacques de Thézac, le photographe

Jacques de Thézac prit ses premiers clichés dans les années 1880 lors de ses nombreuses croisières au départ de Saintes. Son but était tout simplement d’illustrer ses journaux de bord. A cette époque, la photographie n’était encore réservée qu’aux professionnels et aux artistes. Les lourds appareils sur pied et les fragiles plaques de verre n’offraient pas une grande souplesse d’utilisation.
Chaque prise de vue était savamment calculée.

« C’était, raconte Jos Le Doaré, les temps héroïques où l’on travaillait au bouchon. Quand on voulait prendre une photographie, on débouchait l’objectif, on comptait trois secondes, et on le rebouchait. Pas question de faire des instantanés, et encore moins de prendre des personnes en mouvement ; il fallait toujours une pose ».

Au tournant du siècle, la simplification des appareils et la meilleure sensibilité des émulsions rendirent techniquement la photographie accessible à tous. Quantité d’amateurs pouvaient désormais transcrire les moments heureux de la vie privée ou le spectacle de la rue avec un minimum de com-plication dans la mise en scène et la prise de vue.
Thézac allait donc pouvoir exercer pleinement sa passion de l’art photographique.

Jacques de Thézac, l'ethnographe

Thézac fut l’un des rares photographes de son temps dont la démarche relevait plus ou moins consciemment de l’ethnographie maritime. La qualité de ses clichés est due pour l’essentiel à sa bonne perception du sujet, à son sens de l’observation et à sa connaissance parfaite du milieu.
Dans son esprit, le sujet photographié ne pouvait, en aucun cas, être séparé de son environnement social et placé dans un décor de studio. Il refusait le pittoresque facile et préférait montrer des hommes parfaitement intégrés dans leur cadre quotidien. Il était ethnographe d’instinct.

Les scènes de travail et de vie communautaire avaient sa préférence : hommes de tous âges fréquen-tant les Abris du Marin, enfants jouant sur les quais, pécheurs au travail à bord de chaloupes sardinières, sloops langoustiers et autres dundees thoniers, fêtes religieuses et profanes, bénédiction de la mer, etc..

Thézac fut, avec le peintre André Dauchez, familier de Loctudy, l’un des rares photographes amateurs à exploiter la possibilité de prendre des clichés en mer à bord de yachts de plaisance. Cela lui permit d’exprimer son art dans une direction résolument moderne qui préfigurait déjà la photographie de reportage. De plus sa volonté de rendre dans toute sa justesse, et sous tous les angles, le vrai visage de la voile au travail eut souvent une incidence très heureuse sur l’audace de ses cadrages.

Le philanthrope accordait une grande importance au rendu de l’image mais il refusait les artifices techniques vantés par Charles Lhermitte ou Philippe Tassier. Ces artistes photographes effectuèrent plusieurs séjours en Bretagne avant la Grande Guerre et fixèrent sur plaques de verre quelques scènes pittoresques de la vie des pêcheurs, notamment à Douarnenez et Concarneau.

Les résultats de leurs périples bretons sont de magnifiques collections d’images qui témoignent d’une maîtrise très habile de la composition décorative.
Loin de vouloir se conformer à l’idéal esthétique de l’école pictorialiste, Thézac recherchait à faire transparaître dans ses photographies une vérité toute émotionnelle. Ses images de foule et ses portraits, dans lesquels les regards jouent un rôle primordial, exercent toujours une certaine fascination chez l’observateur.

En dépit de son tempérament austère, il arrivait que Thézac prenne part aux salons bourgeois qui réunissaient les personnalités en vue des milieux littéraires et artistiques. Il entretenait ainsi des relations étroites avec Charles Le Goffic, André Chevrillon, Lucien Simon (tous membres fondateurs de l’Œuvre des Abris du Marin) mais aussi avec Auguste Dupouy, Fernand Legout-Gérard, Théophile Deyrolle, Désiré Lucas… On peut penser que ces rencontres eurent une réelle incidence sur sa philosophie et, par conséquent, sur sa production photographique.